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ENQUÊTE 4 | Minerais du kivu – Les failles de la traçabilité

Légende photographie : Les sacs de coltan et de cassitérite du négociant Jacques Bulonza (à droite) entreposés à l’arrière d’un dépôt de boissons de Kalungu.

 

Article et photographies par Quentin Noirfalisse au Kivu, avec Julien Cigolo Muzusangabo.

Pour lutter contre l’utilisation dans nos smartphones de “minerais de conflit” exploités dans l’est du Congo, l’industrie a mis en place un programme de contrôle de l’origine des ressources minières. Bien implanté, il comporte encore des lacunes, pénalise les creuseurs et n’a pas réussi à réduire le nombre de groupes armés.  

Jacques Bulonza s’ouvre une Doppel Munich. 65 centilitres de bière brune, à 9h30, avant de prendre la route pour Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu. Il rentre dans un dépôt-relais de boissons du village de Kalungu. À l’arrière, entre les caisses de Fanta et de bières, ses « produits » sont entassés en un tas imposant. Des dizaines de sacs blancs à lignes rouges et bleues remplis de cassitérite et de coltan. Douze tonnes en tout, dit-il. Ils ont été extraits à Numbi, dans les hauts plateaux, par des creuseurs, armés de pioches, de pelles, de burins. Des motos et des dos d’hommes cambrés les ont ramenés sur trente kilomètres d’une route en piteux état. Jacques Bulonza est négociant. Il a payé 6 000 dollars aux creuseurs pour cette marchandise et va chercher à la vendre « en ville », au comptoir le plus offrant. Il résume son métier en une phrase : « Je négocie avec tout le monde ». Avec les creuseurs, avec l’État pour obtenir les bons documents et avec les comptoirs d’exportation pour marchander les teneurs et donc son bénéfice.

Les sacs que Jacques Bulonza fait charger dans une grosse Land Cruiser sont scellés et portent une étiquette avec un code barre. Dans le jargon minier, on appelle cela une «étiquette-négociant ». Elle sert à indiquer aux acheteurs étrangers de quels sites proviennent les minerais. Les étiquettes sont apposées par les services de l’État. Les minerais de Jacques Bulonza ont d’abord été pesés à leur sortie du puits minier par le SAEMAPE, un service d’encadrement des mines artisanales, qui pose ensuite une “étiquette-mine”. Plus tard, dans le centre de négoce local, à Numbi, ils ont reçu l’“étiquette-négociant”, donnée par la Division des mines. Les sacs sont ensuite acheminés vers les entités de traitement des grandes villes, comme Bukavu. Là, les minerais passent par un premier affinage, avant de partir dans les fonderies, en Asie surtout, qui en tireront des métaux. . “L’Etat appelle cela la traçabilité, mais à part me coûter des taxes, je n’en profite pas vraiment, et les creuseurs non plus” , grogne Jacques Bulonza, fort de ses huit ans d’expérience dans le métier.

Place centrale de Rubaya, à 50 kilomètres. Des motards attendent des clients. Autrefois un village, Rubaya est devenu l’épicentre de l’exploitation de coltan au Nord Kivu.

“Sans minerais de conflit”

La traçabilité est une des composantes du programme iTSCi (international Tin Supply Chain initiative), qui tente de mettre en œuvre depuis dix ans ce que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) appelle la « due diligence ». Il s’agit pour une entreprise d’«identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels » de ses activités. La « due diligence » a été la réponse de l’industrie au phénomène des « minerais de conflit », dénoncé à partir de 2000 par les Nations unies et plusieurs ONG. L’industrie qui transforme ces minerais et dont les acheteurs finaux sont des sociétés comme Apple, Huaweï, Samsung et tous les géants de la tech, va donc développer la création de chaînes d’approvisionnement sans “minerais de conflit”. ITSCi, lancée par l’Association internationale de l’étain rejointe ensuite par le Tantalum-Niobium Study Center, lobby du coltan basé en Belgique, se présente aujourd’hui comme l’initiative qui « a eu le plus de succès ». Mickaël Daudin travaille pour l’ONG internationale Pact, chargée de mettre en œuvre iTSCi à l’est du Congo avec l’Etat. Après que l’Etat ait validé des sites miniers 3T comme étant jugés exempts d’intervention armée, Pact va faire sa propre analyse de chaque site, explique-t-il, avant que le comité de gouvernance d’iTSCi décide de les intégrer au programme. Ensuite, les équipes de Pact vont enregistrer les incidents liés aux activités minières artisanales, sur site et sur les routes de transport, et « in fine les communiquer aux entreprises ». Un incident, cela peut être une intervention armée sur un site minier, un acte de corruption, des enfants qui travaillent.

En 2020, le programme affichait « dix ans de succès » : 1,3 million de transactions tracées par année pour 380 millions de dollars anuels de valeur totale à l’export pour des minerais issus de 2 500 sites miniers, en RDC mais aussi au Rwanda et au Burundi. Sur 831 sites visités entre 2015 et 2020, par des chercheurs de l’International Peace Information Service d’Anvers (IPIS) entre 2015 et 2020, 80 % ne comptaient pas de présence armée. Le problème serait-il donc réglé ? Pas vraiment. Pour Ken Matthysen, chercheur chez IPIS, « il reste des gros problèmes : des étiquettes sont vendues en sous-main aux négociants et les chaînes d’approvisionnement sont contaminées par des minerais non tracés. Et ceci arrive de façon structurelle. ITSCi présente son système comme étanche alors qu’il ne l’est pas. » Dans un rapport de 2021, IPIS écrivait d’ailleurs que si l’interférence des groupes armés avait diminué dans les sites 3T inclus dans une initiative de “due diligence”, c’était moins clair pour le reste de la chaîne d’approvisionnement, notamment sur les routes de transport.

Alexis Nahimana porte une veste brune redoublée de laine et une chapka défraîchie. Il fait froid à Rubaya, cité minière à 1 700 mètres d’altitude et 50 kilomètres à l’est de Goma. Il a arrêté de creuser il y a peu, mais a tout vécu de l’histoire du coin : le boom du coltan, vers 2000, l’arrivée de milliers de creuseurs, la mainmise sur la zone de la rébellion du RCD-Goma et son parrain rwandais, qui évacuait 70 % de la production à Kigali. Aujourd’hui, il assiste, dépité, à d’autres tensions. La Société minière de Bisunzu (SMB), qui dit détenir « la plus grande mine de coltan d’Afrique » est en conflit avec la Coopérative de creuseurs de Masisi (COOPERAMA). Les affrontements entre la police des mines présente sur le site et des creuseurs, parfois armés, ont fait des morts à plusieurs reprises. « Les creuseurs accusent la SMB de ne pas les payer, explique Alexis Nahimana. Du coup, certains ont été vendre leurs minerais ailleurs, faussant la traçabilité. Ce n’est pas si difficile, surtout si on a quelque chose pour corrompre.» Dans son dernier rapport de juin 2021, le Groupe d’experts des Nations unies sur le Congo notait des passages en fraude de minerais de la SMB vers une concession d’Etat, la Sakima, qui participe au programme iTSCi. Rubaya n’était pas un cas isolé : les cas de fraude recensés sont nombreux. La SMB, elle, a quitté depuis 2019 iTSCi, jugée trop cher, pour rejoindre une autre initiative. Pour Mickaël Daudin, « SMB n’était surtout pas d’accord avec la façon dont nous rapportions les incidents sur son site. Les conflits ont débordé sur des zones couvertes par iTSCi. Ça entache notre programme et inquiète les acheteurs internationaux.» 

Tag négociant placé sur des sacs de cassitérite et de coltan. Il vise à indiquer d’où vient le minerais.

Des coûts à répercuter

Josaphat Musamba, doctorant à l’université de Gand (Groupe de recherche sur les conflits) habitant à Bukavu, arpente les carrés miniers depuis des années. Il reconnaît le travail fait par les agents d’iTSCi sur le terrain, là où ils ont l’accès. « Mais les groupes armés sont toujours actifs dans la chaîne des 3T dans des zones plus reculées, par exemple sur les hauteurs de Uvira, à Walikale, à Shabunda. Certains groupes armés assurent la sécurité autour de certains sites iTSCi, dans la région d’Uvira, en l’absence de la police des mines. Sans parler de la fraude de minerais non-étiquetés vers le Rwanda, qui s’opère sur le lac Kivu, ou par la route, via Goma. » Pact affirme suivre de près la situation dans la région Uvira.

ITSCi a un coût pour les acteurs de la chaîne minière congolaise. Le négociant Jacques Bulonza vend parfois aux comptoirs des « produits » pour lesquels il a payé de 0,3 dollars (pour la cassitérite) à 0,5 dollars par kilo (pour le coltan) pour l’étiquetage. Congo Jia Xin est une entité de traitement de Bukavu, membre d’Itsci, qui exporte à des traders de matières premières comme Afrimet (Suisse), Traxys (Luxembourg) ou Nobles ou de grosses fonderies comme Thaisarco (Thaïlande). . « Pour avoir le droit d’exporter, explique Joseph Kazibaziba, directeur-général de Congo Jia Xin et président national de l’artisanat minier au sein de la chambre des mines RDC, il me faudra payer des « levies » à iTSCi (NDLR : une participation au programme calculée selon le poids et la teneur des minerais) qui avoisinent 1 150 dollars la tonne de coltan et 258 dollars la tonne d’étain et obtenir en plus, toutes les documents d’exportation malgré les lourdeurs administratives  » Ces coûts sont répercutés sur l’amont de la chaîne, et, donc, les creuseurs, à qui on impose les prix. Plus de 90 % du financement d’iTSCi est supporté par les Congolais : creuseurs, négociants, entités de traitement et comptoirs. Le secteur en aval (les fonderies, notamment) ne contribue qu’à hauteur de 1 à 3 %. « C’est pourtant lui qui va le plus profiter du programme, en montrant qu’il s’approvisionne de façon responsable dans les Grands Lacs, déplore Mickaël Daudin. On appelle depuis plusieurs années à ce que l’aval s’implique davantage financièrement, sans beaucoup de succès. » 

Administration pas armée

Christoph Vogel, chercheur au Groupe de recherche sur les conflits de l’Université de Gand, qui sortira un livre sur le sujet en 2022 (Conflict Minerals, Inc., Hurst, 224 p.) y voit un paradoxe. « Les utilisateurs finaux veulent des minerais propres mais ils ne veulent pas payer. Du coup, ce sont les Congolais qui doivent payer, alors qu’ils n’ont pas demandé la traçabilité. En permettant à ceux-ci d’exporter, iTSCi crée une forme de monopole, qui amène un alignement au niveau des prix d’achats, au désavantage des creuseurs. La traçabilité et la “due diligence” ont été présentés au Congo comme une initiative de paix et de développement alors que son intérêt principal est de faire face aux critiques des consommateurs.»

À Kalungu, alors que Jacques Bulonza termine sa Doppel, les agents de la Division des Mines et du SAEMAPE se rassemblent dans leur bureau de fortune à l’étage d’une maison en bois. Il n’y a pas de moto pour aller étiqueter dans les sites du coin, les obligeant à marcher quatre à cinq heures le matin. Certains agents n’ont jamais reçu le moindre salaire, en vingt ans de carrière. Le problème est général dans l’administration congolaise, mais les agents des services miniers sont ceux sur qui reposent la traçabilité. Comment gagnent-ils leur vie, alors ? Ils se « débrouillent », comme on dit au Congo, « tandis que les équipes de Pact ont des bons salaires payés par iTSCi, mais sont moins présentes sur les sites que les agents de l’Etat », note Josaphat Musamba. Selon Simon Lububa Babafula, chef de la division des mines du Sud-Kivu, sur les 1 300 agents immatriculés qu’il chapeaute, seuls 35 perçoivent un salaire.

En octobre 2021, Josaphat Musamba et Christoph Vogel écrivaient dans le magazine Dissent que le nombre de groupes armés n’avait cessé de croître depuis une décennie, passant « de 30 à 40 quand iTSCi a démarré à plus de 100 en 2021 ». Ils voulaient rappeler que les conflits de la région ne s’arc-boutent pas sur une volonté de contrôler les minerais, mais sur des causes plus profondes, liés à des enjeux géopolitiques et fonciers. « De nombreux groupes armés qui coexistaient avec les communautés dans une paix relative ont accru les embuscades et les pillages quand ils ont perdu l’accès aux minerais. » Quant aux creuseurs des Kivu, s’ils gagnent un peu plus d’argent que la moyenne congolaise (environ 3 dollars par jour, contre moins d’1,9 dollar pour 73 % de la population), cela ne suffit pas à soutenir dignement un ménage, rappelait IPIS dans un récent rapport. À l’est du Congo, une grande majorité d’entre eux est aujourd’hui active dans un secteur encore plus problématique : l’or.

Sur les hauteurs de Shasha, au Nord Kivu, des creuseurs entament un nouveau filon de coltan.

Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

L’exposition Seven Grams présentée à Nanterre

Du 30 mars au 9 avril était présentée l’exposition Seven Grams à l’Agora de Nanterre. Entre photographies, application en réalité augmentée et vitrines d’accessoires de travail, le visiteur était invité à ressentir pleinement la gravité de la situation des exploitations minières en République Démocratique du Congo.

Le 5 avril à 19h, Karim Ben Khelifa a guidé les visiteurs au travers de cette exposition, détaillant plus précisément le projet et son intention. Il a également présenté les objets affichés en vitrines et ramenés du Congo par le journaliste Quentin Noirfalisse avec qui a collaboré Karim Ben Khelifa (cf. Enquêtes). Parmi ces objets reflétant la réalité du quotidien des mineurs, on pouvait trouver des pioches, des lampes, une unique bouteille d’eau correspondant à une journée de travail, une machette visant à se protéger des serpents, etc. 

S’en est suivi un dialogue enrichissant sur les questions de journalisme de solution et de responsabilités individuelles quant à nos modes de consommation. Nous espérons que cette exposition a permis d’alerter sur les dangers de l’industrie minière et par conséquent, de l’industrie des composants électroniques pour smartphones.

ENQUÊTE 3 | Creuser, faute de mieux

Crédit photographie : SABA SABA | © IPIS

Par Quentin Noirfalisse

En République démocratique du Congo, être creuseur paye mieux que cultiver la terre. Beaucoup mieux. Mais cela ne suffit pas à obtenir des conditions de vie dignes pour autant. Dans le secteur artisanal, le creuseur, logé au bout de la chaîne d’approvisionnement, est souvent une variable d’ajustement, acceptant des conditions de travail précaires et dangereuses contre l’espoir d’avoir, chaque jour, un peu de cash à mettre sur la table.

Ce matin de septembre 2021, Alexis Nahimana a mis ses habits de pasteur et est parti officier à un deuil, sur les hauteurs de Rubaya, Nord-Kivu. Le deuil a duré longtemps, Alexis a réconforté la famille, dénoué des tensions. On a imploré Dieu, pas mal. Ensuite, il a changé de costume. Mis sa chapka, et une grosse veste beige. Il peut faire froid à Rubaya, à 1700 mètres d’altitude et 50 kilomètres à l’est de Goma. Les collines qui surplombent le centre de cette petite ville, au sud, dévoilent de larges pans ocres. Plus loin, encore, les puits se font plus nombreux. Rubaya est un des épicentres congolais de l’exploitation de coltan. Un minerai qui, une fois exporté, sera transformé en tantale, pour fabriquer les condensateurs des appareils électroniques, comme les téléphones ou les ordinateurs. Ou en niobium, qui permet de renforcer des alliages, fabriquer des pacemakers ou du matériel médical de pointe.

On dit souvent que le Congo détient 60 % des réserves mondiales de ce minerai. Des chiffres plus raisonnables estiment plutôt que le pays représente 15 à 20 % de l’offre mondiale actuelle et les géologues expliquent que, faute d’études, ses réserves ne peuvent être estimées correctement. Mais le minerai est légalement qualifié comme stratégique, comme le dit le code minier congolais, tout comme le cobalt et le germanium. Ces minerais sont donc taxés à 10 % au lieu de 2% pour les minerais classiques, lorsqu’ils sont exportés. Objectif officiel : rapporter plus à l’état et aux citoyens congolais au vu de l’appétit qu’ils engendrent au niveau international, disait en 2018 (année de l’instauration du nouveau code minier) le pouvoir de l’époque, mené par l’ancien président Joseph Kabila.

Alexis Nahimana n’a jamais vraiment profité de cette taxation revue à la hausse, tout comme des centaines de milliers de creuseurs à l’est. Il a raccroché sa pelle il y a quelques mois mais a vécu tout ce que Rubaya compte d’instants forts dans sa courte mais mouvementée histoire.

De la Sominki aux rébellions

Le grand-père d’Alexis est arrivé du Rwanda, alors partie intégrante du Congo belge (qui le récupéra des Allemands après leur défaite en 14-18), dans les années cinquante. Son père a travaillé à la Sominki, la Société Minière du Kivu. Sous Mobutu, la Sominki s’occupait d’exploiter les gisements des Kivu au profit de l’État. Au milieu des années 80, alors que le régime Mobutiste est à bout de souffle, la Sominki elle-même rentre en déliquescence.

Les zones minières, désormais délaissées par les agents de l’état, commencent à être occupées par de simples citoyens, qui, pour lutter contre le chômage et la disette, se mettent à creuser la terre. « À l’époque, la demande en étain a explosé, donc nous nous sommes mis à creuser la cassitérite, qui permet d’obtenir de l’étain », se rappelle Alexis Nahimana. En 1996, la rébellion de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Rwanda) lance son avancée contre le régime mobutiste depuis l’est du pays. Le mouvement est activement soutenu par le Rwanda et l’Ouganda voisins, qui nourrissent chacun leurs intérêts propres.

Ils se retourneront contre leur protégé, un ancien maquisard qui fut proche de Che Guevara avant de devenir commerçant d’or, Laurent-Désiré Kabila. Avec leur aide, il renversa Mobutu avant de devenir président et de se retourner contre ces « alliés ». En 1998, des rébellions soutenues par Kampala et Kigali s’emparent de l’est du Congo et lancent un conflit sanglant contre Kabila. Le RCD Goma tient alors le grand Kivu (Sud et Nord Kivu et Maniema).

La Playstation change la donne

Au même moment, en Occident, arrivent la Playstation II et les téléphones portables. La demande en coltan explose et, pendant quelques mois, son prix va être multiplié par dix (de 60$ le kilo à presque 800$), avant de reprendre des cours normaux. Alexis Nahimana et les creuseurs déjà sur place à Rubaya voient affluer des milliers de personnes sur les collines de Rubaya. Il assistera à la présence, durant des années, de la rébellion puis des groupes armés, désireux d’obtenir leur part de ce juteux gâteau. Des étudiants arrêtent l’école, des agriculteurs quittent leur activité d’élevage. Des élites locales vont essayer de se positionner pour obtenir de larges concessions, comme la Société Minière de Bisunzu.

Vingt ans après, Alexis regarde deux décennies d’exploitation artisanale avec distance. Le niveau de vie des creuseurs ne s’est pas vraiment amélioré.

Ceux-ci restent les variables d’ajustement d’une chaîne d’approvisionnement où les prix sont dictés par l’extérieur, dans un marché du coltan, qui, contrairement à l’étain ou au cobalt (qui sont, eux, extraits de façon artisanale mais aussi industrielle au Congo), n’est pas fixé au niveau international.

Catastrophes en série

Mais le constat reste le même pour les mines d’or, de cassitérite ou de wolframite (qui donne le tungstène nécessaire, notamment aux vibreurs de téléphone) : les conditions de travail et les revenus qu’ils récupèrent ne sont pas bons, nous rapportent quasiment tous les creuseurs que nous avons rencontrés à Rubaya, Luhihi et dans la région de Kalungu (Sud Kivu). Ce que l’on espère souvent comme un eldorado est en fait un métier pénible, qui demande des mois d’investissement à creuser un puits, pour parfois n’en tirer que peu de choses, alors que les risques (éboulement, asphyxie, noyades lorsque l’eau inonde les puits, exposition au mercure pour l’or artisanal), sont bien réels. En 2020, une cinquantaine de creuseurs mourraient noyés dans des puits d’or, après un éboulement de terrain. Chaque mois, des catastrophes de moindre ampleur défrayent la chronique congolaise à l’est du Congo et la question de la gestion par le gouvernement des mines artisanales revient sur le devant de la scène, alors que le Saemape, le service d’encadrement des mines artisanales, censé notamment sécuriser les galeries, évolue avec un effectif et des moyens de déplacement trop réduits pour couvrir chacun des sites miniers reconnus par l’État.

Pourtant, ce « métier » continue d’attirer des dizaines de milliers de personnes. Le centre de recherche anversois IPIS en a recensé près de 300.000 à l’est de la RD Congo. Il y en a sans doute beaucoup plus. Sans compter ceux actifs dans l’ex-Katanga dans le cobalt ou le cuivre (au moins 200.000 pour la province du Lualaba, et toutes les personnes qui vivent de l’économie indirecte générée par une mine : marchand de boissons, d’outillage, de lampes frontales, transporteurs. Pourquoi rester dans les mines ? Parce que quand on compare avec d’autres professions, être creuseur rapporte quand même « un petit quelque chose », comme on dit à l’est.

2,7$ par jour

IPIS a lancé un vaste suivi des mines artisanales à l’est du Congo depuis 2009. Sur base de ces données et d’une étude réalisée sur le terrain à Nzibira (Sud Kivu) et Itebero (Nord Kivu), ils ont constaté [1] que les creuseurs pouvaient gagner entre 2,7 et 3,3$ par jour. Dans une famille où père et mère sont impliqués dans l’activité minière, il y a donc moyen de rassembler 200$/mois. C’est 43$ de moins que ce qu’il faudrait pour couvrir des dépenses de base d’un ménage, estime IPIS. Mais cela reste bien plus que le revenu quotidien moyen de 73 % de la population congolaise, qui vit avec moins d’1,9$ par jour. Le seuil de pauvreté agricole en RD Congo est fixé à 4,89$ par… mois.

Comme le dit bien IPIS dans ce rapport : « L’extraction artisanale est en fait une activité bien payée, quand on la compare avec d’autres activités génératrices de revenus, et pourtant elle ne couvre pas les besoins de base ».

Un métier au bas de la pyramide minière

La question des revenus n’est pas la seule qui détermine la vie des creuseurs. Car le terme lui-même de creuseur est un raccourci. Les travailleurs des mines artisanales sont un maillon d’un système extrêmement hiérarchisé et souvent patriarcal, comme le rappelle IPIS.

Dans leur article sur le rôle des négociants dans la chaîne d’approvisionnement des minerais, Josaphat Musamba et Christoph Vogel décrivent bien les interactions complexes dans l’écosystème artisanal, et notamment la place des instances étatiques :

Un puits minier est généralement dirigé par un propriétaire. Souvent un chef ou un homme d’affaire local. Il gère les relations avec les agents de l’états (Saemape et Division des mines), les autorités coutumières, trouve les investisseurs. Il donne à un PDG (Président Directeur-général) la direction opérationnelle du puits. Parfois, le propriétaire est aussi PDG.

Des creuseurs, qui sont répartis en équipe, vont alors s’occuper du travail d’extraction. Les boiseurs sécurisent les puits. Les pelleteurs sont ceux qui vont creuser la terre. D’autres personnes vont laver les minerais, et enlever la poussière et les impuretés des minerais, sur le site même s’il y a de l’eau ou un peu plus loin. Des femmes, surnommées les twangeuzes, au Sud Kivu (il s’agit parfois de veuves qui n’ont plus d’autres moyens d’existence) vont faire un travail assez lourd de concassage manuel de pierres, à la main. Selon les sites, des métiers plus spécifiques sont présents, notamment pour la manipulation du mercure. Les transporteurs (d’eau, de nourriture, de minerais) jouent aussi un rôle essentiel pour le bon fonctionnement des puits.

Les minerais seront ensuite vendus à des négociants, c’est-à-dire des agents intermédiaires qui vont acheter les minerais, pour les transporter dans les villes où ils seront traités dans des entités de traitement qui se chargeront de leur exportation. Il y en a de deux types : les négociants locaux qui achètent et vendent à un niveau local qu’on appelle tantôt managers, chachouleurs ou commissionnaires et les commerçants qui vendent dans les grandes villes et s’appellent négociants.

Les entités de traitement leur achèteront les minerais selon les prix du marché officiel (pour la cassitérite, la wolframite ou l’or) ou officieux (pour le coltan), après une négociation serrée. À cause des coûts de la traçabilité qui sont supportés à 90 % au moins par les acteurs congolais de la chaîne mondiale des 3T+G (tantale, étain, tungstène et or), il y aura une répercussion sur les acteurs en amont de la chaîne et in fine sur les creuseurs.

Coopératives de façade

Les creuseurs sont censés être organisés, selon la loi congolaise, en coopératives. Le problème, c’est que ces coopératives n’ont rien du modèle coopératif tel qu’on l’entend en Europe où des acteurs partagent des parts sociales d’une entreprise et en fixent les objectifs, notamment de production. Au Congo, les coopératives ont un système souvent hiérarchisé et les creuseurs, en tant qu’individus, y ont une voix assez faible, tout comme leur voix est faible dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Très souvent ignorants des pratiques de fixation des prix, les creuseurs  ne sont pas maîtres de leur production et tentent surtout de joindre les deux bouts. Pourtant, il s’agit d’un des métiers les plus exercés de RD Congo et d’un enjeu politique majeur à l’est du Congo.

Alors que de larges concessions ont été octroyées à des entreprises étrangères (Alphamin pour l’étain en territoire de Walikale, des sociétés chinoises, Eurasian Resource Group ou Glencore pour le cuivre/cobalt au Kantaga, Barrick Gold, société canadienne, principale société active dans l’or industriel, en Haut-Uélé, mais aussi des sociétés congolaises) dans des conditions parfois opaques, les creuseurs réclament, eux aussi, le droit de pouvoir exploiter la terre congolaise, bien souvent faute d’alternatives meilleures sur le marché de l’emploi. Sans pour autant se faire exploiter sur les prix et les teneurs.

[1]https://ipisresearch.be/wp-content/uploads/2020/05/2003-miners-revenue.pdf

Seven Grams présenté aux Digidays du Théâtre Chur

Du 7 au 10 mars auront lieu les Digidays du Théâtre suisse de Chur. Au programme : quatre journées de découverte de divers œuvres, ateliers et projets innovants reliant art et numérique. Parmi eux, l’application mobile en réalité augmentée Seven Grams sera présentée au public. 

Ce projet relevant du journalisme de solution et composé en deux parties (séquence interactive en réalité augmentée suivie d’un film d’animation) est réalisé par Karim Ben Khelifa et coproduit par Lucid Realities, France Télévisions, POV-Spark et Think Film, avec le soutien du CNC et de la région Occitanie.

À travers leurs propres téléphones, les visiteurs du Théâtre Chur auront l’occasion de se sensibiliser aux thématiques complexes des exploitations minières africaines à l’origine des composants électroniques de nos smartphones et plus particulièrement en République Démocratique du Congo où l’extraction et l’exploitation de ces ressources semblent loin d’en faire bénéficier le pays et ses habitants.

Source : https://www.theaterchur.ch/programm/seven-gram

SEVEN GRAMS récompensé par le prix Nouvelles Écritures du FIPADOC 2022

À l’occasion du FIPADOC 2022, Seven Grams a eu l’honneur de recevoir le prix « Nouvelles Ecritures », un prix récompensant « une œuvre de non-fiction linéaire ou interactive, proposant une narration exigeante et une écriture innovante, réalisée grâce aux outils et technologies numériques, tous supports de diffusion confondus ». 

Réalisé par Karim Ben Khelifa (The Enemy) et coproduit par Lucid Realities, France Télévisions, POV-Spark et Think Film, avec le soutien du CNC et de la région Occitanie, l’application mobile Seven Grams offre la possibilité de saisir la complexité du drame des mines congolaises produisant les composants électroniques de nos smartphones et rend compte de notre implication dans cette problématique en une expérience immersive alliant réalité augmentée et film d’animation. 

Le jury était composé des membres de la commission des écritures et formes émergentes de la Scam : Géraldine Brezault, autrice et réalisatrice, Pascal Goblot, documentariste et vidéaste ainsi que Véronique Godé, journaliste et réalisatrice.

ENQUÊTE 2 | Le paradoxe des “minerais de conflit”

Par Quentin Noirfalisse

L’étiquette leur colle comme un sparadrap sur une chaussure : la plupart des minerais de l’est de la RD Congo sont appelés de “conflit” depuis près de vingt ans. Les recherches académiques montrent pourtant que les minerais sont davantage une source de financement des groupes armés qu’un moteur-clé des dynamiques de conflits. Et que s’ils ont nourri des groupes armés, ils sont aussi, depuis les années nonante au moins, une source de revenus pour des dizaines de milliers de creuseurs congolais.

23 novembre 2009. Comme c’est le cas chaque année depuis 2004, le rapport final du Groupe d’expert des Nations unies sur la République démocratique du Congo, sort. Le rôle de ce groupe est d’enquêter sur la situation sécuritaire congolaise, et particulièrement à l’Est, et il se penche très fréquemment sur le contrôle et l’exploitation des minerais par des groupes armés ou l’armée régulière.

Sept ans après les accords de Sun City, Sud et Nord Kivu vivent encore leur lot de conflits. Les “guerres à répétition” comme on les appelle à l’Est de la RD Congo, continuent. Et le trafic de minerais constitue encore un des moyens de financer ces conflits.

En cette fin d’année 2009, le Groupe épingle notamment les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), composées d’anciens génocidaires, qui trafiquent de la cassitérite et de l’or, récupérant ainsi des “millions de dollars” pour se financer, selon les estimations du rapport. L’or part ensuite par des réseaux de contrebande vers l’Ouganda ou le Burundi et puis pour les Émirats Arabes Unis.

Mais l’armée régulière congolaise n’est pas en reste. 2009 a été l’année d’un brassage particulièrement important. 12000 soldats du groupe rebelle CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple, de Laurent Nkunda, soutenu par le Rwanda) et d’autres groupes armés sont rapatriés dans l’armée régulière. Des officiers du CNDP, à peine arrivés dans les forces régulières, ne sont pas prêts à abandonner leurs anciens privilèges. Ils mettent la main sur une partie de la production de minerais dans des zones minières telles que Bisie (territoire de Walikale, cassitérite), des mines de wolframite (territoire de Kalehe) et de coltan (à Rubaya, territoire de Masisi). Des officiers de l’armée qui ne viennent pas du CNDP sont également, à l’époque, impliqués dans l’exploitation minière. Des fonderies et traders de minerais asiatiques ou occidentaux achètent ces minerais à l’origine plus que douteuse, qui arrivent alors dans le marché de l’électronique.

Le rapport de 2009, comme bien d’autres avant (voir notre article précédent), dénonçait cette immixtion des groupes armés dans l’exploitation minière artisanale. De nombreuses ONG ont fait campagne auprès des gouvernements occidentaux pour qu’ils agissent contre ce phénomène qu’elles nommèrent les “minerais de conflit”, insistant sur le rôle des 3T+G (tantale, tungstène, étain et or) comme un facteur qui exacerbe voire même engendre les conflits à l’est de la RD Congo.

Comme le rappelaient récemment les chercheurs Christoph Vogel1 et Josaphat Musamba2, le “paradigme des minerais de conflit a émergé durant une augmentation sans précédent de la demande mondiale en tantale, au tournant du millénaire, et qui a amené les travailleurs congolais de l’est et les marchands internationaux à se concentrer sur l’extraction de coltan (le minerais dont le tantale est extrait).” Si le boom des prix du coltan va se calmer vers 20033, l’attrait pour les 3T+G reste, dans un monde où les achats de smartphones et les besoins technologiques explosent.

La pression des ONG s’accentue encore à la fin des années 2000. Global Witness déplore, en 2008, que malgré “les preuves abondantes” de l’implication de l’armée et des groupes armés dans les carrés miniers, qui y exploitent durement la main d’oeuvre constituée par les creuseurs, “aucune action efficace n’a été prise pour mettre fin à ce commerce meurtrier. Au contraire, les belligérants ont consolidé leurs bases économiques.”

À l’époque, l’ONG a aussi pisté l’aval de la chaîne d’approvisionnement en regardant quelles sociétés achetaient aux comptoirs de vente de 3T établis à Goma et à Bukavu. Elle cite des statistiques de la division des mines congolaise qui montre que ce sont des sociétés belges comme Trademet, Traxys, SDE, STI et Specialty Metals qui représentent les plus grands importateurs de coltan. Suit ensuite, pour le coltan et la cassitérite, la Thaïlande. Logique : le pays héberge une des plus importantes fonderies d’étain au monde, Thaisarco, détenue par une société britannique, Amalgamated Metal Corporation. Trademet, Thaisarco et Traxys sont épinglés, à l’époque, par le groupe d’experts des Nations unies car elle achètent directement à des comptoirs qui pré-financent des négociants en minerais congolais en affaire avec des groupes armés.

Acculée par les rapports, qui expliquent à chaque fois le lien entre le Congo et le smartphone des citoyens occidentaux, la communauté internationale va se mettre à réagir. La décision la plus retentissante vient des États-Unis. Des parlementaires avaient rédigé un projet de loi spécifique contre les minerais de conflit, qui va finalement être simplement intégré dans la Loi Dodd Frank (officiellement le Wall Street Reform and Consumer Protection Act), sous la section 1502. Elle exige que les sociétés cotées aux États-Unis donne des garanties que les “produits qu’elles ont manufacturé ou fait manufacturer ne contiennent pas des minerais qui financent directement ou indirectement ou bénéficient à des groupes armés en RD Congo ou dans ses pays voisins4.

D’autres mécanismes s’installent, en parallèle, notamment à cause de la pression exercée par la loi Dodd Frank sur les entreprises actives aux USA :
– Des initiatives basées sur les lignes directrices de l’OCDE en matière de due diligence5 pour les minerais provenant de zones de conflit.
– Un système de traçabilité, la Tin Supply Chain Initiative (iTSCi) , mis en place au Congo, par l’International Tin Research Institute (aujourd’hui International Tin Association, le lobby mondial de l’étain). Il est mis en place par les agents de l’état congolais au niveau des sites miniers, avec la collaboration des agents de l’ITSCI (le programme est pris en charge par l’ONG Pact et deux organisations locales congolaises). Nous verrons dans des épisodes ultérieurs les avantages et inconvénients de ce système mais aussi pourquoi il contribue peu, selon des chercheurs, à l’amélioration des conditions de vie des creuseurs.
– Un système de certification développé par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL).

“Il est important de garder à l’esprit, quand on observe les efforts mis en place pour la formalisation du secteur minier, que l’état n’est qu’un acteur parmi d’autres. Les acteurs internationaux et les firmes privées joue un rôle clé en soutenant techniquement ou financièrement les réformes”, rappelle un article scientifique publié en 2021 qui évalue l’impact des réformes minières dans le secteur des 3T+G.

La section 1502 loi Dodd-Frank va avoir un impact cataclysmique sur les creuseurs artisanaux congolais. Dans la foulée de son adoption, le président de l’époque, Joseph Kabila, va déclarer une interdiction de six mois de l’extraction minière artisanale6. Des centaines de milliers de creuseurs, voire, des millions, se retrouvent alors sans moyens de subsistance. Les entreprises étrangères tentent de s’approvisionner ailleurs. La chercheuse belge Sara Geenen, qui a étudié en profondeur le système minier artisanal congolais, estime que l’interdiction “n’était pas seulement un exemple radical d’une politique de formalisation décidée par le haut, mais montrait aussi comment une mesure technique et bureaucratique peut aggraver et non pas solutionner les problèmes liés à l’exploitation minière artisanale : conflit, informalité, pauvreté, illégalité, contrôle étatique.”

À l’époque, le Congo est dans un état très problématique. En 2010, quelques années après le processus de paix, il a perdu vingt places sur l’indicateur de développement humain, devenant le pays le moins développé du monde. Le sentiment d’insécurité est généralisé dans les provinces de l’Est du pays. Les déplacés internes sont environ 2 millions. “Les groupes armés, dont l’armée congolaise, commettent sans relâche des violations atroces des droits humains”, écrit Séverine Autesserre dans un article publié dans Africain Affairs et qui fera date : “Dangereous Tales : Dominant Narratives on the Congo and their Unintended Consequences7”.

Autesserre explique que les raisons de la profonde crise de l’État congolais sont complexes, multiples et ancrées dans des dynamiques locales, régionales et internationales. Parmi celles-ci : “les actes incendiaires de leaders nationaux et régionaux, des antagonismes locaux quant à l’accès à la terre et au pouvoir, la persistance de la corruption à tous les niveaux du système politique et économique.” Pourtant, déplore Autesserre, qui a passé de nombreuses années à se pencher sur les enjeux de résolution des conflits en RD Congo, le message véhiculé dans le monde occidental au début des années 2010 quant à la situation congolaise ne prend pas en compte cette diversité de facteurs et se focalise sur trois récits principaux.

“Ces récits se focalisent sur une cause principale de violence, l’exploitation illégale des ressources, une conséquence première, les abus sexuels contre les hommes et les femmes, et une solution centrale : reconstruire l’autorité de l’État. Il n’y a aucun doute que l’exploitation illégale des ressources congolaises constitue une cause importante du conflit, que la violence sexuelle est une forme d’abus très répandues et atroces et que reconstruire l’autorité de l’état est une mesure essentielle”, estime Autesserre. Mais la chercheuse, aux côtés d’un nombre croissant de voix académiques congolaises et internationales, estime que désigner les minerais comme cause essentielle du conflit rétrécit le cadre de pensée de la communauté internationale. Tout comme le fait de voir dans la course aux minerais l’unique volonté du Rwanda de soutenir des groupes armés locaux.

Les minerais sont, en réalité, très souvent une source de financement davantage qu’un but en soi pour les groupes armés, à l’idéologie pas toujours très définie, qui vivent, s’éteignent et se recyclent parfois en d’autres groupes. Tout comme les barrages routiers, le trafic de charbon de bois ou encore les kidnappings.

Une figure essentielle de la vie économique à l’est du Congo est, elle, souvent oubliée, des débats autour des minerais dits de conflit : le creuseur. Leur nombre est difficile à déterminer. Ils seraient entre 200 000 et un million à l’est. Sans compter les “emplois” indirects générés par ce secteur, peu fiscalisés et largement informels. Autour du creuseur se développe tout un écosystème, avec des chefs de puits minier, des chachouleurs, des conducteurs, des commissionnaires, des négociants. Rendez-vous au prochain article pour découvrir la vie des creuseurs et de la galaxie de personnes qui gravitent autour des puits miniers.

(1) Vogel est directeur de recherche du projet Insecure Livelihoods à l’Université de Gand (Conflict Research Group), ancien expert des Nations Unies sur la RD Congo. Il publiera en 2022 un livre intitulé Conflict Minerals, Inc.
(2) Josaphat Musamba est doctorant à l’Université de Gand et directeur-adjoint du Groupe de Recherche sur les conflits et la sécurité humain (GEC-SH) à l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu.
(3) Le tantale, qui est dérivé du coltan, n’a pas un prix fixé sur le marché international, à la bourse des métaux de Londres, par exemple, au contraire du cuivre ou de l’étain. Son prix est donc fixé de façon informelle et de façon non transparente pour les creuseurs.
(4) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214790X21000393
(5) La due diligence ou diligence raisonnable en français, est un processus que les entreprises doivent développer pour “identifier, prévenir, atténurer et rendre compte de la manière dont elles traitent les impacts négatifs réels et potentiels dans les propres opérations, dans leur chaîne de valeur et avec leurs partenaires.” Source : Boîte à outils sur les droits humains pour les entreprises et organisations : https://entreprises-droitshomme.be/tool/8/quoi
(6) Contrairement à l’exploitation industrielle, qui est effectuée par une société, à l’aide de machines, à grande échelle, l’exploitation artisanale est faite à la main, avec des outils, à petite échelle, par des creuseurs qui sont, selon la loi congolaise, regroupés en coopératives.
(7) Traduction : Les contes dangereux : les narratifs dominants sur le Congo et leurs conséquences involontaires”

SEVEN GRAMS, en sélection officielle AU FESTIVAL DE SUNDANCE 2022

Nous sommes fiers d’annoncer que notre projet en réalité augmentée Seven Grams a été sélectionné au Sundance Film Festival 2022 dans la catégorie New Frontier.

Cette catégorie offre une sélection puissante et audacieuse de différents projets et performances qui font appel aux nouvelles technologies et narrations immersives.

Réalisé par Karim Ben Khelifa et coproduit par Lucid realities, France Télévisions, POV-Spark et Think Film, avec le soutien du CNC et de la région Occitanie, Seven Grams propose, d’une façon radicalement innovante, de découvrir le lien entre votre smartphone et les conditions souvent dramatiques dans lesquelles sont extraits les minerais rares nécessaires à sa fabrication, en particulier en République démocratique du Congo.

Mêlant réalité augmentée et séquences d’animation, Seven Grams vous raconte cette histoire, vous propose de découvrir les minerais utilisés dans votre smartphone et leurs particularités uniques. A travers un récit poignant et émouvant, Seven Grams vous propose de remonter la chaîne de production de nos smartphones et d’appréhender leur coût humain.


Seven Grams, en sélection officielle au Festival International du Film de Genève – GIFF

Lucid Realities a le plaisir d’annoncer la sélection officielle de Seven Grams à la 27ème édition du Festival International du Film de Genève (GIFF) qui se déroulera du 5 au 14 novembre 2021. 

Présentée pour la première fois en Suisse, l’expérience a été sélectionnée dans la section non-compétitive the future is sensible qui présente une programmation de films et projets XR traitant de différentes questions sociales, écologiques et technologiques et qui mettent en question les choix éthiques et leur impact sur le futur. 

Seven Grams est une expérience en réalité augmentée réalisée par le journaliste Karim Ben Khelifa (The Enemy) et coproduite par Lucid Realities, France Télévisions, POV-Spark et Think Film, qui propose, d’une façon radicalement innovante, de découvrir le lien entre votre smartphone et les conditions souvent dramatiques dans lesquelles sont extraits les minerais rares nécessaires à sa fabrication, en particulier en République démocratique du Congo.

Enquête 1 | Aux origines des minerais de conflit

Par Quentin Noirfalisse

Les smartphones, devenus omniprésents dans nos vies, sont de véritables mines miniatures. Parmi d’autres, la polémique autour des minerais de conflit congolais présents, a permis de prendre conscience des enjeux humains et environnementaux des technologies. Mais derrière le terme minerais de conflit se cache une réalité bien plus complexe encore.

6,37 milliards d’êtres humains utilisent aujourd’hui un smartphone1. L’objet rectangulaire que vous tenez en main chaque matin n’est pas seulement un moyen incroyable de rester en contact avec vos proches, de prendre et de partager des images et des vidéos et d’accéder au web dans des temps de plus en plus records grâce à l’inévitable 5G. C’est aussi un incroyable « dévoreur de matières premières », comme le montre en octobre 2021, Le Monde Diplomatique, à travers un frappant tableau de Mendeleïev. Plus de 50 éléments chimiques se retrouvent dans votre iPhone, Huawei ou Samsung derniers cris. Ils composent la coque de l’appareil, font fonctionner la puce, les hauts parleurs, l’écran tactile et toute la micro-électronique de votre téléphone.

« If you can’t grow it, you have to mine it ! ».
Si vous ne pouvez le faire pousser, il faudra l’extraire. 

L’expression est bien connue des géologues et des chercheurs. Chaque jour, on se sert non seulement d’un smartphone, mais aussi d’un tube de dentifrice. Leur point commun : on ne peut pas les faire pousser de terre. Alors, il faut extraire des minerais pour les faire fonctionner. Sans mines, pas de dentifrice car il contient du phosphate, du titane, du fluoride et de l’aluminium (Source). Et donc pas de smartphone non plus.

De votre magasin de téléphones aux mines éparpillées à travers le monde qui permettent d’obtenir les métaux qui truffent nos smartphones, se déroule un long chemin tortueux, très compliqué à comprendre, qu’on appelle la « supply chain », ou chaîne d’approvisionnement. Il s’agit de chacune des étapes de transformation d’un minerais, depuis la mine jusqu’à l’utilisateur final (la société productrice du téléphone, qui dépend de multiples fournisseurs, de la création des composantes jusqu’à l’assemblage).

Et qui dit chaîne d’approvisionnement, avec de multiples intermédiaires, dit souvent problèmes. Dans le triangle du lithium, entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili, où se concentre plus de la moitié de la production mondiale de lithium, essentiel aux batteries, on utilise de 400 à 2 millions de litres d’eau salée (les chiffres diffèrent entre l’industrie et d’autres experts) pour obtenir un kilo de lithium. Si cette eau, pompée dans le sous-sol, est salée et pas directement consommable, son exploitation affecte par contre l’écosystème aquifère dans son ensemble et poserait un risque pour les réserves d’eau douce (Source) des communautés locales.

A Bangka, en Indonésie, l’île a été ravagée par les mines d’étain (Source). En Chine, la production de néodyme (qui sert dans les aimants de smartphones) entraîne des rejets toxiques dans les eaux, et des maladies graves pour les riverains des zones d’exploitation (Source).

Et puis, il y a la République démocratique du Congo. À l’est du pays, dans les provinces du Nord et Sud Kivu, de l’Ituri, du Tanganyka et du Maniema, des centaines de milliers de creuseurs artisanaux (de 0,5 million à 2 millions de creuseurs travailleraient dans les mines, selon différentes estimations) et un petit nombre de mines industrielles extraient eux aussi des minerais essentiels au fonctionnement de nos smartphones.

Ces mines produisent :

  • Du coltan, un minerais d’où l’on peut extraire le tantale, essentiel aux condensateurs qui stabilisent l’alimentation électrique des téléphones. Le Congo est un des principaux producteurs mondiaux de coltan, mais ses réserves sont extrêmement difficiles à évaluer.
  • De la cassitérite, qui permet d’obtenir de l’étain, utilisé pour souder des composants métalliques du smartphone mais aussi produire l’oxyde d’indium-étain, un matériau extrêmement fin, transparent, conducteur délectricité et indispensable au fonctionnement de nos écrans tactiles.
  • De la wolframite, d’où l’on peut obtenir du tungstène, un métal dense utilisé dans le mécanisme de nos vibreurs.
  • De l’or : 60 % des 3000 sites miniers répertoriés par le centre de recherche Ipis, spécialiste en gouvernance minière, sont des mines d’or, qui drainent aussi le plus grand nombre de creuseurs.

Ces minerais sont rassemblés sous l’expression 3T+G (pour tin, tantalum, tungsten et gold soit étain, tantale, tungstène et or)

La RD Congo est un acteur d’envergure à l’échelle mondiale pour le coltan (dans le top 5 des pays producteurs, le minerais étant qualifié de stratégique, il est taxé à 10% au lieu de 2%). Il produit aussi 8% des exportations d’étain, en grande partie dues à la mine industrielle de Bisie mais aussi de centaines de mines artisanales de cassitérite. La wolframite, quant à elle, joue un rôle marginal dans la production congolaise, mais peut s’intensifier selon la demande du marché mondiale et ce jusque dans les plus petites mines. 

C’est avant tout la diversité des minerais dont le Congo dispose qui frappe, depuis longtemps, les esprits. Jules Cornet, géologue belge, venu explorer les ressources minières du Katanga en 1891, parla même d’un “scandale géologique”. 

Mais depuis le début des années 2000, alors que la deuxième guerre du Congo1 faisait rage, avec un pays de facto divisé en plusieurs parties (une rébellion, le RCD, Rassemblement congolais pour la démocratie soutenue par le Rwanda maîtrisant la région du Kivu), c’est un autre scandale qui frappe le Congo et le secteur des 3T+G. Celui des minerais de sang ou des minerais de conflit, selon des expressions désormais bien installées dans les médias et les ONG. 

À l’époque, le Congo est morcelé entre :

  • Le gouvernement Kabila (qui sera assassiné en 2001, le pouvoir étant repris par son fils Joseph), qui maîtrise le sud du pays, de Kinshasa au Katanga, 
  • Le RCD-Goma, soutenu par les Rwandais, qui occupe le grand Kivu (Nord et Sud Kivu et Maniema)
  • Le RCD-Kisangani, qui occupe le nord-est du pays. 
  • Le Mouvement pour la Libération du Congo qui occupe le nord-ouest.

Une guerre ethnique meurtrière, instrumentalisée par l’Ouganda, s’ajoutera à ce maëlstrom, en Ituri, région où la production d’or est importante. 

C’est à cette époque que des liens entre groupes rebelles et exploitation minière commencent à être documentés. En septembre 2000, un groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC est créé par les Nations Unies. Plusieurs rapports sortent pour documenter comment les rébellions et groupes armés se servent des ressources naturelles pour se financer. 

“L’exploitation systématique des ressources naturelles et autres formes de richesses de la RDC se poursuit sans relâche et que ces activités sont menées avec la participation d’un grand nombre d’acteurs, nationaux et non nationaux, appartenant ou non à la région, qu’ils participent directement ou non au conflit”, résumé un communiqué de presse de l’ONU. 

Un des rapports Kassem, du nom de Mahmoud Kassem, ambassadeur égyptien et chef du groupe d’experts, montre, par exemple, à quel point l’exploitation de coltan est tombée entre les mains de l’Armée rwandaise, qui, via “sa” rébellion du RCD-Goma et ses propres troupes, contrôle les Kivu. “Le gros du coltan exporté depuis l’est de la République démocratique du Congo, de 60 à 70%, a été extrait sous la surveillance direct de ‘détachés’ miniers de l’Armée patriotique rwandaise et évacué par avion depuis pistes situées près des sites miniers directement vers Kigali ou Cyangugu. Aucune taxe n’est payée. Les avions militaires rwandais, l’avion de Victor Bout2 et des petites compagnies aériennes sont utilisés pour l’évacuation du coltan.(Source) ” Le rapport indique que l’armée rwandaise contrôle les meilleurs sites, utilise des prisonniers venus du Rwanda comme main d’œuvre, ainsi que du travail forcé. 

C’est un réseau d’élite qui organise cette ruée rwandaise sur le coltan congolais, pas de simples gradés présents sur le terrain des opérations. Le coltan est en partie revendu à une société établie en RDC, au Rwanda et au Burundi, Eagle Wings (filiale de Trinitech Inc., basée aux USA).

Eagle Wings envoie ensuite ce coltan extrêmement problématique vers des fonderies au Kazakhstan, en Chine, mais aussi en Allemagne, chez H.G Starck, une filiale du géant allemand Bayer (notamment actif dans le secteur pharmaceutique). 

Le groupe d’experts démontrera que la même problématique se pose dans les territoires contrôlés par le RCD-Kisangani, soutenu par l’Ouganda. Des acheteurs russes témoignèrent à l’époque que même si les prix du coltan avaient baissé sur le marché international (le coltan, contrairement au cuivre ou au cobalt, n’a pas de prix fixé par une bourse telle que le London Metal Exchange), le coût de la main d’oeuvre était tellement bas que le marché international continuait d’être intéressé par le coltan congolais. 

En 2002, le groupe d’experts recense 85 multinationales qui violent, selon lui, les Guidelines (lignes directrices) de l’OCDE sur les sociétés multinationales parce qu’elles achètent, directement ou via des intermédiaires des minerais congolais exploités illégalement. Ces lignes directrices déterminent des principes et standards non-contraignants (c’est là leur faiblesse) pour faire “des affaires de façon responsable dans un contexte global”, le tout en accord avec les lois et les normes internationalement applicables. 

À l’époque, parmi ces sociétés pointées par l’ONU, on trouve des sociétés diamantaires belges qui acquièrent des diamants exportés par les rébellions, ou encore Umicore, société bâtie sur les restes de l’Union minière belge, qui entama l’exploitation des minerais de façon industrielle au Congo, et d’autres sociétés françaises, anglaises, finlandaises ou parquées dans des paradis fiscaux. 

En 2003, après de longs processus de négociation, un Gouvernement de transition baptisé 1+4 fut créé, reprenant Joseph Kabila comme président, un vice-président de son parti, le PPRD, deux vice-présidents issus des rébellions (Jean-Pierre Bemba pour le MLC et Azarias Ruberwa pour le RDC) ainsi qu’un vice-président représentant une plateforme d’autres partis, Z’ahidi Ngoma. La formation de ce gouvernement d’entente, forcément fragile, n’empêchera pas l’avènement de groupes armés, à l’Est, qui continueront à se servir des minerais comme moyens de financement.

Nourries par les rapports du groupe d’experts, les recherches d’organisations congolaises et désireuses d’attirer l’attention sur les liens entre conflit armé et minerais, plusieurs ONG internationales vont rapidement se saisir de l’enjeu. Bientôt, l’expression “minerais de conflit” allait envahir l’inconscient collectif, au point de devenir, à tort, la seule explication pour analyser la raison des conflits à l’est du Congo. 

1. La première guerre du Congo a démarré en 1996, lorsque l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, appuyées par le Rwanda et l’Ouganda se mit en route pour renverser, en 1997, le maréchal Mobutu, à la tête du pays depuis 32 ans. Lorsque le président Laurent-Désiré Kabila décidera d’éconduire ces encombrants soutiens, une nouvelle guerre, l’opposant à ceux-ci via de nouvelles rébellions qu’ils décidèrent d’initier et/ou soutenir, démarra : la deuxième guerre du Congo. Ces deux conflits feront de très nombreuses victimes directes et indirectes (les chiffres font encore l’objet d’un débat, mais les hypothèse plausibles permettent de tabler sur de un à 2,5 millions de morts).

2. Victor Bout est un marchand d’armes et trafiquant né au Tadjikistan, surnommé Lord of War, ancien du renseignement militaire russe et reconverti dans les armes à 24 ans.

SEVEN GRAMS présenté au Prix Bayeux des correspondants de guerre

Nous sommes enchantés d’annoncer la présentation en avant-première de notre nouveau projet en réalité augmentée “SEVEN GRAMS” réalisé par Karim Ben Khelifa (The Enemy) au Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, dont la 28e édition se tiendra du 4 au 10 octobre 2021. Une exposition mêlant plusieurs artefacts et une zone de test de l’expérience se tiendra à l’Espace d’art actuel Le Radar et se prolongera jusqu’au 31 octobre 2021.

Retrouvez ici une vidéo ARTE de présentation de l’exposition.

Le Prix Bayeux récompense et rend hommage aux reporters qui exercent leur métier dans des conditions périlleuses et nous permettent d’accéder à une information libre. A cette occasion et durant une semaine seront organisés divers événements autour des médias français et étrangers. 

Retrouvez dès le 5 octobre, l’exposition inédite SEVEN GRAMS à l’Espace d’art actuel Le Radar au 24, rue des Cuisiniers à Bayeux. Ouvert du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30, le samedi de 14h à 19h. Ouvertures exceptionnelles, vendredi 8 octobre de 14h30 à 19h et samedi 9 octobre de 10h à 12h et de 13h à 17h (journée continue). Entrée libre

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