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Par Quentin Noirfalisse

L’étiquette leur colle comme un sparadrap sur une chaussure : la plupart des minerais de l’est de la RD Congo sont appelés de “conflit” depuis près de vingt ans. Les recherches académiques montrent pourtant que les minerais sont davantage une source de financement des groupes armés qu’un moteur-clé des dynamiques de conflits. Et que s’ils ont nourri des groupes armés, ils sont aussi, depuis les années nonante au moins, une source de revenus pour des dizaines de milliers de creuseurs congolais.

23 novembre 2009. Comme c’est le cas chaque année depuis 2004, le rapport final du Groupe d’expert des Nations unies sur la République démocratique du Congo, sort. Le rôle de ce groupe est d’enquêter sur la situation sécuritaire congolaise, et particulièrement à l’Est, et il se penche très fréquemment sur le contrôle et l’exploitation des minerais par des groupes armés ou l’armée régulière.

Sept ans après les accords de Sun City, Sud et Nord Kivu vivent encore leur lot de conflits. Les “guerres à répétition” comme on les appelle à l’Est de la RD Congo, continuent. Et le trafic de minerais constitue encore un des moyens de financer ces conflits.

En cette fin d’année 2009, le Groupe épingle notamment les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), composées d’anciens génocidaires, qui trafiquent de la cassitérite et de l’or, récupérant ainsi des “millions de dollars” pour se financer, selon les estimations du rapport. L’or part ensuite par des réseaux de contrebande vers l’Ouganda ou le Burundi et puis pour les Émirats Arabes Unis.

Mais l’armée régulière congolaise n’est pas en reste. 2009 a été l’année d’un brassage particulièrement important. 12000 soldats du groupe rebelle CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple, de Laurent Nkunda, soutenu par le Rwanda) et d’autres groupes armés sont rapatriés dans l’armée régulière. Des officiers du CNDP, à peine arrivés dans les forces régulières, ne sont pas prêts à abandonner leurs anciens privilèges. Ils mettent la main sur une partie de la production de minerais dans des zones minières telles que Bisie (territoire de Walikale, cassitérite), des mines de wolframite (territoire de Kalehe) et de coltan (à Rubaya, territoire de Masisi). Des officiers de l’armée qui ne viennent pas du CNDP sont également, à l’époque, impliqués dans l’exploitation minière. Des fonderies et traders de minerais asiatiques ou occidentaux achètent ces minerais à l’origine plus que douteuse, qui arrivent alors dans le marché de l’électronique.

Le rapport de 2009, comme bien d’autres avant (voir notre article précédent), dénonçait cette immixtion des groupes armés dans l’exploitation minière artisanale. De nombreuses ONG ont fait campagne auprès des gouvernements occidentaux pour qu’ils agissent contre ce phénomène qu’elles nommèrent les “minerais de conflit”, insistant sur le rôle des 3T+G (tantale, tungstène, étain et or) comme un facteur qui exacerbe voire même engendre les conflits à l’est de la RD Congo.

Comme le rappelaient récemment les chercheurs Christoph Vogel1 et Josaphat Musamba2, le “paradigme des minerais de conflit a émergé durant une augmentation sans précédent de la demande mondiale en tantale, au tournant du millénaire, et qui a amené les travailleurs congolais de l’est et les marchands internationaux à se concentrer sur l’extraction de coltan (le minerais dont le tantale est extrait).” Si le boom des prix du coltan va se calmer vers 20033, l’attrait pour les 3T+G reste, dans un monde où les achats de smartphones et les besoins technologiques explosent.

La pression des ONG s’accentue encore à la fin des années 2000. Global Witness déplore, en 2008, que malgré “les preuves abondantes” de l’implication de l’armée et des groupes armés dans les carrés miniers, qui y exploitent durement la main d’oeuvre constituée par les creuseurs, “aucune action efficace n’a été prise pour mettre fin à ce commerce meurtrier. Au contraire, les belligérants ont consolidé leurs bases économiques.”

À l’époque, l’ONG a aussi pisté l’aval de la chaîne d’approvisionnement en regardant quelles sociétés achetaient aux comptoirs de vente de 3T établis à Goma et à Bukavu. Elle cite des statistiques de la division des mines congolaise qui montre que ce sont des sociétés belges comme Trademet, Traxys, SDE, STI et Specialty Metals qui représentent les plus grands importateurs de coltan. Suit ensuite, pour le coltan et la cassitérite, la Thaïlande. Logique : le pays héberge une des plus importantes fonderies d’étain au monde, Thaisarco, détenue par une société britannique, Amalgamated Metal Corporation. Trademet, Thaisarco et Traxys sont épinglés, à l’époque, par le groupe d’experts des Nations unies car elle achètent directement à des comptoirs qui pré-financent des négociants en minerais congolais en affaire avec des groupes armés.

Acculée par les rapports, qui expliquent à chaque fois le lien entre le Congo et le smartphone des citoyens occidentaux, la communauté internationale va se mettre à réagir. La décision la plus retentissante vient des États-Unis. Des parlementaires avaient rédigé un projet de loi spécifique contre les minerais de conflit, qui va finalement être simplement intégré dans la Loi Dodd Frank (officiellement le Wall Street Reform and Consumer Protection Act), sous la section 1502. Elle exige que les sociétés cotées aux États-Unis donne des garanties que les “produits qu’elles ont manufacturé ou fait manufacturer ne contiennent pas des minerais qui financent directement ou indirectement ou bénéficient à des groupes armés en RD Congo ou dans ses pays voisins4.

D’autres mécanismes s’installent, en parallèle, notamment à cause de la pression exercée par la loi Dodd Frank sur les entreprises actives aux USA :
– Des initiatives basées sur les lignes directrices de l’OCDE en matière de due diligence5 pour les minerais provenant de zones de conflit.
– Un système de traçabilité, la Tin Supply Chain Initiative (iTSCi) , mis en place au Congo, par l’International Tin Research Institute (aujourd’hui International Tin Association, le lobby mondial de l’étain). Il est mis en place par les agents de l’état congolais au niveau des sites miniers, avec la collaboration des agents de l’ITSCI (le programme est pris en charge par l’ONG Pact et deux organisations locales congolaises). Nous verrons dans des épisodes ultérieurs les avantages et inconvénients de ce système mais aussi pourquoi il contribue peu, selon des chercheurs, à l’amélioration des conditions de vie des creuseurs.
– Un système de certification développé par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL).

“Il est important de garder à l’esprit, quand on observe les efforts mis en place pour la formalisation du secteur minier, que l’état n’est qu’un acteur parmi d’autres. Les acteurs internationaux et les firmes privées joue un rôle clé en soutenant techniquement ou financièrement les réformes”, rappelle un article scientifique publié en 2021 qui évalue l’impact des réformes minières dans le secteur des 3T+G.

La section 1502 loi Dodd-Frank va avoir un impact cataclysmique sur les creuseurs artisanaux congolais. Dans la foulée de son adoption, le président de l’époque, Joseph Kabila, va déclarer une interdiction de six mois de l’extraction minière artisanale6. Des centaines de milliers de creuseurs, voire, des millions, se retrouvent alors sans moyens de subsistance. Les entreprises étrangères tentent de s’approvisionner ailleurs. La chercheuse belge Sara Geenen, qui a étudié en profondeur le système minier artisanal congolais, estime que l’interdiction “n’était pas seulement un exemple radical d’une politique de formalisation décidée par le haut, mais montrait aussi comment une mesure technique et bureaucratique peut aggraver et non pas solutionner les problèmes liés à l’exploitation minière artisanale : conflit, informalité, pauvreté, illégalité, contrôle étatique.”

À l’époque, le Congo est dans un état très problématique. En 2010, quelques années après le processus de paix, il a perdu vingt places sur l’indicateur de développement humain, devenant le pays le moins développé du monde. Le sentiment d’insécurité est généralisé dans les provinces de l’Est du pays. Les déplacés internes sont environ 2 millions. “Les groupes armés, dont l’armée congolaise, commettent sans relâche des violations atroces des droits humains”, écrit Séverine Autesserre dans un article publié dans Africain Affairs et qui fera date : “Dangereous Tales : Dominant Narratives on the Congo and their Unintended Consequences7”.

Autesserre explique que les raisons de la profonde crise de l’État congolais sont complexes, multiples et ancrées dans des dynamiques locales, régionales et internationales. Parmi celles-ci : “les actes incendiaires de leaders nationaux et régionaux, des antagonismes locaux quant à l’accès à la terre et au pouvoir, la persistance de la corruption à tous les niveaux du système politique et économique.” Pourtant, déplore Autesserre, qui a passé de nombreuses années à se pencher sur les enjeux de résolution des conflits en RD Congo, le message véhiculé dans le monde occidental au début des années 2010 quant à la situation congolaise ne prend pas en compte cette diversité de facteurs et se focalise sur trois récits principaux.

“Ces récits se focalisent sur une cause principale de violence, l’exploitation illégale des ressources, une conséquence première, les abus sexuels contre les hommes et les femmes, et une solution centrale : reconstruire l’autorité de l’État. Il n’y a aucun doute que l’exploitation illégale des ressources congolaises constitue une cause importante du conflit, que la violence sexuelle est une forme d’abus très répandues et atroces et que reconstruire l’autorité de l’état est une mesure essentielle”, estime Autesserre. Mais la chercheuse, aux côtés d’un nombre croissant de voix académiques congolaises et internationales, estime que désigner les minerais comme cause essentielle du conflit rétrécit le cadre de pensée de la communauté internationale. Tout comme le fait de voir dans la course aux minerais l’unique volonté du Rwanda de soutenir des groupes armés locaux.

Les minerais sont, en réalité, très souvent une source de financement davantage qu’un but en soi pour les groupes armés, à l’idéologie pas toujours très définie, qui vivent, s’éteignent et se recyclent parfois en d’autres groupes. Tout comme les barrages routiers, le trafic de charbon de bois ou encore les kidnappings.

Une figure essentielle de la vie économique à l’est du Congo est, elle, souvent oubliée, des débats autour des minerais dits de conflit : le creuseur. Leur nombre est difficile à déterminer. Ils seraient entre 200 000 et un million à l’est. Sans compter les “emplois” indirects générés par ce secteur, peu fiscalisés et largement informels. Autour du creuseur se développe tout un écosystème, avec des chefs de puits minier, des chachouleurs, des conducteurs, des commissionnaires, des négociants. Rendez-vous au prochain article pour découvrir la vie des creuseurs et de la galaxie de personnes qui gravitent autour des puits miniers.

(1) Vogel est directeur de recherche du projet Insecure Livelihoods à l’Université de Gand (Conflict Research Group), ancien expert des Nations Unies sur la RD Congo. Il publiera en 2022 un livre intitulé Conflict Minerals, Inc.
(2) Josaphat Musamba est doctorant à l’Université de Gand et directeur-adjoint du Groupe de Recherche sur les conflits et la sécurité humain (GEC-SH) à l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu.
(3) Le tantale, qui est dérivé du coltan, n’a pas un prix fixé sur le marché international, à la bourse des métaux de Londres, par exemple, au contraire du cuivre ou de l’étain. Son prix est donc fixé de façon informelle et de façon non transparente pour les creuseurs.
(4) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214790X21000393
(5) La due diligence ou diligence raisonnable en français, est un processus que les entreprises doivent développer pour “identifier, prévenir, atténurer et rendre compte de la manière dont elles traitent les impacts négatifs réels et potentiels dans les propres opérations, dans leur chaîne de valeur et avec leurs partenaires.” Source : Boîte à outils sur les droits humains pour les entreprises et organisations : https://entreprises-droitshomme.be/tool/8/quoi
(6) Contrairement à l’exploitation industrielle, qui est effectuée par une société, à l’aide de machines, à grande échelle, l’exploitation artisanale est faite à la main, avec des outils, à petite échelle, par des creuseurs qui sont, selon la loi congolaise, regroupés en coopératives.
(7) Traduction : Les contes dangereux : les narratifs dominants sur le Congo et leurs conséquences involontaires”

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