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Crédit photographie : SABA SABA | © IPIS

Par Quentin Noirfalisse

En République démocratique du Congo, être creuseur paye mieux que cultiver la terre. Beaucoup mieux. Mais cela ne suffit pas à obtenir des conditions de vie dignes pour autant. Dans le secteur artisanal, le creuseur, logé au bout de la chaîne d’approvisionnement, est souvent une variable d’ajustement, acceptant des conditions de travail précaires et dangereuses contre l’espoir d’avoir, chaque jour, un peu de cash à mettre sur la table.

Ce matin de septembre 2021, Alexis Nahimana a mis ses habits de pasteur et est parti officier à un deuil, sur les hauteurs de Rubaya, Nord-Kivu. Le deuil a duré longtemps, Alexis a réconforté la famille, dénoué des tensions. On a imploré Dieu, pas mal. Ensuite, il a changé de costume. Mis sa chapka, et une grosse veste beige. Il peut faire froid à Rubaya, à 1700 mètres d’altitude et 50 kilomètres à l’est de Goma. Les collines qui surplombent le centre de cette petite ville, au sud, dévoilent de larges pans ocres. Plus loin, encore, les puits se font plus nombreux. Rubaya est un des épicentres congolais de l’exploitation de coltan. Un minerai qui, une fois exporté, sera transformé en tantale, pour fabriquer les condensateurs des appareils électroniques, comme les téléphones ou les ordinateurs. Ou en niobium, qui permet de renforcer des alliages, fabriquer des pacemakers ou du matériel médical de pointe.

On dit souvent que le Congo détient 60 % des réserves mondiales de ce minerai. Des chiffres plus raisonnables estiment plutôt que le pays représente 15 à 20 % de l’offre mondiale actuelle et les géologues expliquent que, faute d’études, ses réserves ne peuvent être estimées correctement. Mais le minerai est légalement qualifié comme stratégique, comme le dit le code minier congolais, tout comme le cobalt et le germanium. Ces minerais sont donc taxés à 10 % au lieu de 2% pour les minerais classiques, lorsqu’ils sont exportés. Objectif officiel : rapporter plus à l’état et aux citoyens congolais au vu de l’appétit qu’ils engendrent au niveau international, disait en 2018 (année de l’instauration du nouveau code minier) le pouvoir de l’époque, mené par l’ancien président Joseph Kabila.

Alexis Nahimana n’a jamais vraiment profité de cette taxation revue à la hausse, tout comme des centaines de milliers de creuseurs à l’est. Il a raccroché sa pelle il y a quelques mois mais a vécu tout ce que Rubaya compte d’instants forts dans sa courte mais mouvementée histoire.

De la Sominki aux rébellions

Le grand-père d’Alexis est arrivé du Rwanda, alors partie intégrante du Congo belge (qui le récupéra des Allemands après leur défaite en 14-18), dans les années cinquante. Son père a travaillé à la Sominki, la Société Minière du Kivu. Sous Mobutu, la Sominki s’occupait d’exploiter les gisements des Kivu au profit de l’État. Au milieu des années 80, alors que le régime Mobutiste est à bout de souffle, la Sominki elle-même rentre en déliquescence.

Les zones minières, désormais délaissées par les agents de l’état, commencent à être occupées par de simples citoyens, qui, pour lutter contre le chômage et la disette, se mettent à creuser la terre. « À l’époque, la demande en étain a explosé, donc nous nous sommes mis à creuser la cassitérite, qui permet d’obtenir de l’étain », se rappelle Alexis Nahimana. En 1996, la rébellion de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Rwanda) lance son avancée contre le régime mobutiste depuis l’est du pays. Le mouvement est activement soutenu par le Rwanda et l’Ouganda voisins, qui nourrissent chacun leurs intérêts propres.

Ils se retourneront contre leur protégé, un ancien maquisard qui fut proche de Che Guevara avant de devenir commerçant d’or, Laurent-Désiré Kabila. Avec leur aide, il renversa Mobutu avant de devenir président et de se retourner contre ces « alliés ». En 1998, des rébellions soutenues par Kampala et Kigali s’emparent de l’est du Congo et lancent un conflit sanglant contre Kabila. Le RCD Goma tient alors le grand Kivu (Sud et Nord Kivu et Maniema).

La Playstation change la donne

Au même moment, en Occident, arrivent la Playstation II et les téléphones portables. La demande en coltan explose et, pendant quelques mois, son prix va être multiplié par dix (de 60$ le kilo à presque 800$), avant de reprendre des cours normaux. Alexis Nahimana et les creuseurs déjà sur place à Rubaya voient affluer des milliers de personnes sur les collines de Rubaya. Il assistera à la présence, durant des années, de la rébellion puis des groupes armés, désireux d’obtenir leur part de ce juteux gâteau. Des étudiants arrêtent l’école, des agriculteurs quittent leur activité d’élevage. Des élites locales vont essayer de se positionner pour obtenir de larges concessions, comme la Société Minière de Bisunzu.

Vingt ans après, Alexis regarde deux décennies d’exploitation artisanale avec distance. Le niveau de vie des creuseurs ne s’est pas vraiment amélioré.

Ceux-ci restent les variables d’ajustement d’une chaîne d’approvisionnement où les prix sont dictés par l’extérieur, dans un marché du coltan, qui, contrairement à l’étain ou au cobalt (qui sont, eux, extraits de façon artisanale mais aussi industrielle au Congo), n’est pas fixé au niveau international.

Catastrophes en série

Mais le constat reste le même pour les mines d’or, de cassitérite ou de wolframite (qui donne le tungstène nécessaire, notamment aux vibreurs de téléphone) : les conditions de travail et les revenus qu’ils récupèrent ne sont pas bons, nous rapportent quasiment tous les creuseurs que nous avons rencontrés à Rubaya, Luhihi et dans la région de Kalungu (Sud Kivu). Ce que l’on espère souvent comme un eldorado est en fait un métier pénible, qui demande des mois d’investissement à creuser un puits, pour parfois n’en tirer que peu de choses, alors que les risques (éboulement, asphyxie, noyades lorsque l’eau inonde les puits, exposition au mercure pour l’or artisanal), sont bien réels. En 2020, une cinquantaine de creuseurs mourraient noyés dans des puits d’or, après un éboulement de terrain. Chaque mois, des catastrophes de moindre ampleur défrayent la chronique congolaise à l’est du Congo et la question de la gestion par le gouvernement des mines artisanales revient sur le devant de la scène, alors que le Saemape, le service d’encadrement des mines artisanales, censé notamment sécuriser les galeries, évolue avec un effectif et des moyens de déplacement trop réduits pour couvrir chacun des sites miniers reconnus par l’État.

Pourtant, ce « métier » continue d’attirer des dizaines de milliers de personnes. Le centre de recherche anversois IPIS en a recensé près de 300.000 à l’est de la RD Congo. Il y en a sans doute beaucoup plus. Sans compter ceux actifs dans l’ex-Katanga dans le cobalt ou le cuivre (au moins 200.000 pour la province du Lualaba, et toutes les personnes qui vivent de l’économie indirecte générée par une mine : marchand de boissons, d’outillage, de lampes frontales, transporteurs. Pourquoi rester dans les mines ? Parce que quand on compare avec d’autres professions, être creuseur rapporte quand même « un petit quelque chose », comme on dit à l’est.

2,7$ par jour

IPIS a lancé un vaste suivi des mines artisanales à l’est du Congo depuis 2009. Sur base de ces données et d’une étude réalisée sur le terrain à Nzibira (Sud Kivu) et Itebero (Nord Kivu), ils ont constaté [1] que les creuseurs pouvaient gagner entre 2,7 et 3,3$ par jour. Dans une famille où père et mère sont impliqués dans l’activité minière, il y a donc moyen de rassembler 200$/mois. C’est 43$ de moins que ce qu’il faudrait pour couvrir des dépenses de base d’un ménage, estime IPIS. Mais cela reste bien plus que le revenu quotidien moyen de 73 % de la population congolaise, qui vit avec moins d’1,9$ par jour. Le seuil de pauvreté agricole en RD Congo est fixé à 4,89$ par… mois.

Comme le dit bien IPIS dans ce rapport : « L’extraction artisanale est en fait une activité bien payée, quand on la compare avec d’autres activités génératrices de revenus, et pourtant elle ne couvre pas les besoins de base ».

Un métier au bas de la pyramide minière

La question des revenus n’est pas la seule qui détermine la vie des creuseurs. Car le terme lui-même de creuseur est un raccourci. Les travailleurs des mines artisanales sont un maillon d’un système extrêmement hiérarchisé et souvent patriarcal, comme le rappelle IPIS.

Dans leur article sur le rôle des négociants dans la chaîne d’approvisionnement des minerais, Josaphat Musamba et Christoph Vogel décrivent bien les interactions complexes dans l’écosystème artisanal, et notamment la place des instances étatiques :

Un puits minier est généralement dirigé par un propriétaire. Souvent un chef ou un homme d’affaire local. Il gère les relations avec les agents de l’états (Saemape et Division des mines), les autorités coutumières, trouve les investisseurs. Il donne à un PDG (Président Directeur-général) la direction opérationnelle du puits. Parfois, le propriétaire est aussi PDG.

Des creuseurs, qui sont répartis en équipe, vont alors s’occuper du travail d’extraction. Les boiseurs sécurisent les puits. Les pelleteurs sont ceux qui vont creuser la terre. D’autres personnes vont laver les minerais, et enlever la poussière et les impuretés des minerais, sur le site même s’il y a de l’eau ou un peu plus loin. Des femmes, surnommées les twangeuzes, au Sud Kivu (il s’agit parfois de veuves qui n’ont plus d’autres moyens d’existence) vont faire un travail assez lourd de concassage manuel de pierres, à la main. Selon les sites, des métiers plus spécifiques sont présents, notamment pour la manipulation du mercure. Les transporteurs (d’eau, de nourriture, de minerais) jouent aussi un rôle essentiel pour le bon fonctionnement des puits.

Les minerais seront ensuite vendus à des négociants, c’est-à-dire des agents intermédiaires qui vont acheter les minerais, pour les transporter dans les villes où ils seront traités dans des entités de traitement qui se chargeront de leur exportation. Il y en a de deux types : les négociants locaux qui achètent et vendent à un niveau local qu’on appelle tantôt managers, chachouleurs ou commissionnaires et les commerçants qui vendent dans les grandes villes et s’appellent négociants.

Les entités de traitement leur achèteront les minerais selon les prix du marché officiel (pour la cassitérite, la wolframite ou l’or) ou officieux (pour le coltan), après une négociation serrée. À cause des coûts de la traçabilité qui sont supportés à 90 % au moins par les acteurs congolais de la chaîne mondiale des 3T+G (tantale, étain, tungstène et or), il y aura une répercussion sur les acteurs en amont de la chaîne et in fine sur les creuseurs.

Coopératives de façade

Les creuseurs sont censés être organisés, selon la loi congolaise, en coopératives. Le problème, c’est que ces coopératives n’ont rien du modèle coopératif tel qu’on l’entend en Europe où des acteurs partagent des parts sociales d’une entreprise et en fixent les objectifs, notamment de production. Au Congo, les coopératives ont un système souvent hiérarchisé et les creuseurs, en tant qu’individus, y ont une voix assez faible, tout comme leur voix est faible dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Très souvent ignorants des pratiques de fixation des prix, les creuseurs  ne sont pas maîtres de leur production et tentent surtout de joindre les deux bouts. Pourtant, il s’agit d’un des métiers les plus exercés de RD Congo et d’un enjeu politique majeur à l’est du Congo.

Alors que de larges concessions ont été octroyées à des entreprises étrangères (Alphamin pour l’étain en territoire de Walikale, des sociétés chinoises, Eurasian Resource Group ou Glencore pour le cuivre/cobalt au Kantaga, Barrick Gold, société canadienne, principale société active dans l’or industriel, en Haut-Uélé, mais aussi des sociétés congolaises) dans des conditions parfois opaques, les creuseurs réclament, eux aussi, le droit de pouvoir exploiter la terre congolaise, bien souvent faute d’alternatives meilleures sur le marché de l’emploi. Sans pour autant se faire exploiter sur les prix et les teneurs.

[1]https://ipisresearch.be/wp-content/uploads/2020/05/2003-miners-revenue.pdf

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